Pourquoi choisit-on de s’investir sans relâche dans le développement du sport en région? Pour Yazid Achour, le « pourquoi » est clair : chaque jeune mérite un environnement propice à son épanouissement, où la bienveillance et la collaboration priment sur les performances immédiates, et ce, quel que soit l’endroit où le sport est pratiqué. Et c’est justement cette philosophie profondément humaine qui l’anime, jour après jour, au cœur de l’Abitibi-Témiscamingue.
Un détour imprévu, un enracinement durable
Il y a cinq ans, Yazid et sa conjointe quittent leur vie bien établie pour relever un nouveau défi. Sa conjointe, médecin gériatre, accepte un poste dans la région pour une durée initiale d’un an. Rapidement, le couple tombe sous le charme de la communauté. Des rencontres chaleureuses, une qualité de vie apaisante, une solidarité palpable : tout converge pour qu’ils décident d’y rester, durablement.
Dans cette région de quelque 30 000 habitantes et habitants, Yazid découvre une culture sportive atypique. Ici, l’approche est inclusive. Les réseaux scolaire, universitaire et civil coexistent sans réelle compétition, avec une volonté commune de faire émerger le plein potentiel des jeunes athlètes.
Ancien karatéka de haut niveau et triathlète passionné, Yazid connaît bien les exigences du sport de haut niveau. Il en a retiré une discipline de fer, mais aussi une ouverture d’esprit qui le pousse à toujours voir au-delà des apparences. « Le sport m’a appris où sont mes mains, mes jambes… mais aussi ma tête. »
Ce n’est donc pas surprenant qu’il valorise le multisport comme levier d’apprentissage, même pour les nageuses et nageurs. Selon lui, explorer d’autres disciplines – le vélo, l’athlétisme, les sports d’équipe – contribue à enrichir les habiletés transférables vers la natation.
Un bâtisseur à l’écoute du terrain
Aujourd’hui, Yazid est délégué régional du sport étudiant en Abitibi-Témiscamingue. Son mandat : organiser des compétitions, accompagner les athlètes vers les événements provinciaux, soutenir les OBNL dans leurs projets sportifs, et favoriser le développement des structures. Responsable également du sport-études à Val-d’Or, il œuvre à reconstruire cette vitrine avec une vision renouvelée : « On repart avec une nouvelle philosophie. Ce qui ne fonctionnait pas, on le laisse derrière. »
Sa mission ? Créer les conditions optimales pour le développement des athlètes, en plaçant leur bonheur au cœur de tout processus. « Si l’enfant est heureux, il sera bon. » Et dans cette quête, l’Abitibi-Témiscamingue possède des atouts précieux : un tissu communautaire serré, une solidarité naturelle qui facilite l’engagement bénévole, des relations de proximité qui rendent les collaborations avec les municipalités plus fluides, et une culture d’entraide qui favorise l’obtention de commandites locales. Habiter en région, c’est aussi bénéficier d’un cadre propice à la mobilisation collective. Paradoxalement, plusieurs embûches fréquemment rencontrées dans les grands centres – complexité administrative, concurrence entre clubs, lourdeur des structures – y sont atténuées, voire inexistantes. Ce contexte unique permet à Yazid de bâtir des projets sur mesure, à échelle humaine, ancrés dans la réalité du terrain.
Bâtir des ponts, pas des silos
Dans une région aussi vaste que l’Abitibi, la clé du succès repose sur la capacité à fédérer les actrices et acteurs du milieu. Yazid le sait : « Il faut être disponible. » À son arrivée, il n’a pas hésité à offrir bénévolement de son temps pendant quatre ans. Son approche : expliquer les changements, s’attaquer au statu quo avec douceur mais conviction, et gagner l’adhésion, parfois même des plus réfractaires, en misant sur l’humour et l’écoute.
« Il faut professionnaliser la démarche du sport, sans oublier l’humain. On a mis le sourire et la bienveillance avant la performance. » Dans cet esprit, Yazid agit comme un véritable pont entre les quatre clubs de la région – Val-d’Or, La Sarre, Amos et Rouyn. Il œuvre à mutualiser les ressources, à créer des dynamiques de collaboration et à faire émerger des projets collectifs, dont les retombées profiteront à l’ensemble de la région plutôt qu’à un seul club. Sa vision est résolument régionale : bâtir une culture sportive solidaire, où le partage prime sur la compétition interne.
Des freins? Oui. Des solutions? Aussi.
Le plus grand obstacle ? « On faisait comme ça avant. » Yazid rencontre souvent une certaine résistance au changement, alimentée par le confort de l’habitude. Pourtant, le vent tourne. Une nouvelle ouverture se dessine dans les clubs. En intégrant une approche plus relationnelle, il découvre que des personnes discrètes, parfois timides, ont des idées extraordinaires à offrir.
Son projet phare ? Former une nouvelle génération d’entraineures et entraineurs, des plus jeunes aux plus expérimentés. « Il faut d’abord les former au coaching, ensuite à la natation. Ce sont nos futurs entraineurs-chefs. »
Et il ne s’arrête pas là. Depuis 2017, les camps régionaux d’entrainement étaient tombés dans l’oubli. Sous son impulsion, ils renaissent. Toutefois, fidèle à sa modestie, Yazid refuse d’en revendiquer le mérite. Ce qu’il souhaite, c’est pérenniser ces initiatives à travers une dynamique d’échange intersites.
Pour Yazid, le sport fédéré doit être repensé. La structure actuelle, encore trop pyramidale, freine le développement organique des clubs. Il appelle à une « déconstruction bienveillante », centrée sur l’humain, la joie, la polyvalence. Il rêve d’un Québec sportif où les entraineures et entraineurs sont bien formés, reconnus, respectés.
Un événement marquant depuis son arrivée? Un accident tragique, qui a profondément secoué la communauté. « Ça a resserré les liens. On s’est relevé ensemble. » Dans les défis, la région a trouvé sa force : une solidarité unique, un esprit de résilience qui transcende les disciplines.
Regarder vers l’avenir
Dans cinq ans, Yazid espère être fier d’une région florissante, avec plus d’adhérentes et adhérents, des nageuses et nageurs accomplis, et une relève formée pour porter le flambeau. Sa plus grande source de fierté? Avoir contribué, à sa façon, à une dynamique collective, où le sport est avant tout un outil de transformation sociale.
Et à celles et ceux qui débutent leur parcours dans le sport, il offre ce conseil : « Ne soyez pas obsédés par le chrono. Voyez plus loin que le temps immédiat. Développez-vous dans le temps, avec le temps. »